5 Questions à ... Bernard Friot
“La Sécurité Sociale de l’Alimentation”

Crédit photo : par-cyrille choupas Site Ardeur.net
Bernard Friot est sociologue et économiste. Il est militant du Parti Communiste Français et est à l’origine de la création, en 2011, de l’association d’éducation populaire Réseau Salariat.
Question 1 : Comment expliquer la sécurité sociale de l’alimentation au président de la chambre d’agriculture, au syndicat jeunes agricole (JA) et FNSEA ?
S’il s’agit des responsables, c’est peine perdue puisqu’ils tiennent d’une main de fer le monde agricole au service de l’agro-business, dont ils sont eux-mêmes des acteurs importants.
S’agissant des adhérents, beaucoup en ont assez de cette énorme mainmise, voient bien que la monoculture et les élevages industriels sont une impasse, peinent à s’assurer un Smic avec les prix dérisoires que leur imposent Lactalys ou Carrefour alors qu’ils sont lourdement endettés et savent que leur patrimoine ne viendra pas forcément au secours de leur future retraite, proche du minimum vieillesse. Ils continuent parce qu’ils sont coincés et parce qu’ils pensent que le changement leur ferait perdre leur (illusoire) indépendance professionnelle.
L’enjeu est donc de les convaincre qu’au contraire c’est en passant convention avec la caisse de sécurité sociale de l’alimentation qu’ils pourront sortir du carcan de l’endettement et de la soumission à la grande distribution (comme il a fallu en 1961 convaincre les soignants de ville, qui aujourd’hui n’imagineraient pas de revenir à leur situation d’avant leur convention avec l’assurance-maladie).
Question2 : Sécurité Sociale de l’Alimentation, Salaire à la qualification personnelle : quelle stratégie ? Qu’est-ce qui selon vous sera le déclencheur ?
La classe dirigeante tente une stratégie du choc en utilisant l’état d’urgence antiterroriste puis sanitaire pour accélérer la forme capitaliste des mutations informationnelles tout en bridant le droit du travail et les libertés dans une société de surveillance.
L’évidence de l’extrême nocivité anthropologique et écologique d’une telle fuite en avant va accélérer la mobilisation pour passer à une autre forme de société en s’appuyant sur le déjà-là communiste. Les fonctionnaires sont les seuls travailleurs à conserver leur salaire pendant le confinement : il est simple de partir de ce constat pour dire que le salaire attaché à la personne doit devenir la norme pour tout adulte.
L’échec de l’aide alimentaire est évident : contre « l’aide aux pauvres », il est simple de promouvoir une sécurité sociale de l’alimentation qui assure à toute personne une alimentation de qualité, librement choisie par elle, selon une logique universelle.
Question 3 : Si on prend l’exemple de la Caisse des salaires, comment réussir à se mettre d’accord sur une gouvernance, sans qu’elle ne devienne un appareil bureaucratique complexe et autoritaire ?
Mais nous avons un exemple de taille, le régime général de sécurité sociale !
De 1946 à 1960, ses nombreuses caisses locales ont été gérées par des travailleuses et travailleurs élu.es, qui assuraient des permanences au plus près des assurés sociaux, les syndicats formaient en lien avec l’université un nombre considérable de ces élus.
Les caisses d’allocations familiales étaient les institutions publiques les plus aimées des usagers. C’est de Gaulle qui a mis un coup d’arrêt à ce qui s’appelait alors « la démocratie sociale » et qui a entrepris une étatisation au service du capital. C’est toujours la bourgeoisie qui crée les appareils bureaucratiques complexes et autoritaires !
Nous allons au contraire créer des caisses très décentralisées et gérées par les intéressé.es. Et à côté des caisses de salaires, il y aura les caisses d’investissement, les caisses de qualification, les caisses de gestion du patrimoine productif, autant d’instances dont la divergence d’intérêts assurera la vitalité du débat politique.
Question 4 : La Sécurité Sociale de l’Alimentation selon vous ça serait 450 000, 1 Million ou 25 Millions de producteurs ?
450 000, c’est ce qui reste des exploitants agricoles dans l’agro-business, 25 millions, c’est approximativement le nombre de foyers de mangeurs.
Ça ne peut donc être ni l’un ni l’autre de ces chiffres.
Ni le premier, car la sécurité sociale de l’alimentation mettra en avant le travail vivant et nécessitera bien plus de producteurs.
Ni le second, car la production de l’alimentation ne peut pas être l’addition des jardins potagers et des cuisines familiales.
Le travail de production excède les activités sensibles de chacun. On le voit en ce moment à l’université avec la fermeture des restaurants du Crous : laisser les jeunes produire leur nourriture, ça ne va pas. Et ce qui vaut pour la restauration vaut pour la distribution des aliments, la production des aliments bruts (céréales, fruits) ou transformés (bière, pain…), celle des outils et procédés agricoles…
Il faut mobiliser à vaste échelle des travailleurs spécialisés en mesure de fournir l’effort scientifique, technique, organisationnel à la base d’un métabolisme enfin positif avec la nature. Combien ? Je n’ai pas de chiffre précis, mais assurément plusieurs millions.
Question 5 : Qu’est-ce qui vous rebute dans le communisme, qu’est-ce qui vous séduit dans l’Anarchisme ?
Curieuse question posée à un communiste qui a sa carte au PCF depuis 1969 et qui ne connait pas bien la tradition anarchiste !
Je suis passionné par l’invention du salaire à la qualification du poste dans les conventions collectives, et plus encore à la qualification personnelle dans la fonction publique, qui nous libère du marché du travail.
Je suis passionné par l’invention de la cotisation sociale pour financer l’investissement par subvention, qui nous libère des marchés financiers. Je suis passionné par l’invention de l’égalité des personnes que rendent possible les luttes féministes, LGBT, postcoloniales, et tous les tâtonnements pour démocratiser la délibération dans les organisations.
Tout ce communisme en route n’a de sens que si la gestion des fonctions collectives est assurée par les travailleuses et travailleurs citoyen.nes, comme le régime général de sécurité sociale avait commencé à l’être de 1946 à 1960.
Propos recueillis par Myriam POMMELEC – Mars 2021
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