5 Questions à... Franck Lepage
“L’éducation populaire”

Question 1 : Pour toi, qu’est-ce-qui distingue l’éducation de l’éducation populaire ?
Elle en est le contraire. Non pas l’éducation du peuple, mais une éducation dont les formes sont populaires, donc politiques. Elle ne consiste pas à diffuser vers un peuple d’ enfants-élèves ou d’adultes étudiants des contenus définis par le pouvoir comme seuls légitimes.
Elle consiste au contraire à dire que nous sommes capables de définir nous mêmes les contenus que nous jugeons légitimes, que nous voulons apprendre ou que nous voulons échanger. En particulier nos savoirs stratégiques de luttes politiques de résistance. L’exemple des réseaux d’échanges réciproques de savoirs est un bon exemple d’éducation populaire.
Pour le dire d’une façon savante : L’éducation populaire est un acte éducatif dans lequel le destinataire est associé à la définition des contenus légitimes de savoirs transmis. Ce qui est évidemment impossible à l’éducation nationale où il n’y a que des “sachants” et des “apprenants”, et ou le peuple est un cerveau vide à remplir.
Question 2 : Education populaire, par qui, pour qui, comment et pourquoi faire?
Mais ça n’est pas suffisant ! L’éducation populaire est aussi un travail rigoureux pour comprendre le monde et mettre des mots et des analyses sur notre expérience du monde et des autres. Qu’il s’agisse du monde du travail, du couple et de la famille, du monde de la rue, des relations avec d’autres peuples.
Transformer notre expérience en un savoir partageable et utile pour les autres, c’est à dire utile pour l’action collective, telle est l’ambition de l’éducation populaire, et cela nous impose de nous réapproprier, à partir de notre expérience de la vie, les savoirs légitimes de la sociologie, de l’histoire, de l’économie, de la philosophie, etc. pour les retourner contre les dominants.
Question 3 : Penses-tu que l’éducation populaire soit un outil important dans les milieux militants ? Si oui pourquoi ? Si non, pourquoi ?
C’est moins un “outil” qu’une posture consistant à inventer ses propres outils et s’affranchissant des formes traditionnelles de militantisme consistant le plus souvent à délivrer un message. Généralement ces “messages” connaissant le sort de la plupart des tracts. Une fois le messager éloigné on les froisse et on les jette dans le caniveau.
L’éducation populaire consiste en un travail rigoureux et honnête des contradictions d’un problème ou d’une situation. Le militantisme classique se débarrasse généralement des contradictions qui lui semblent affaiblir le message. Il se positionne généralement dans le cadre d’un “pour ou contre”, “noir ou blanc” etc. c’est à dire dans une position morale que l’éducation populaire cherche à éviter pour s’attacher aux systèmes à l’oeuvre. Par exemple le racisme n’est pas une question morale (c’est mal !) mais une question de système global dans lequel chacun de nous est partie prenante, qu’il le veuille ou non. Du point de vue de l’éducation populaire la question n’est pas “suis-je raciste ?” mais “qu’est ce que je fais de mon racisme, celui incorporé malgré moi par les structures sociales (école, télévision, littérature, travail…etc.)
Question 4 : Que préconises-tu pour lutter contre la langue de bois de notre système politique ?
La dénoncer et la rendre visible chaque fois que c’est possible.
S’astreindre à appeler les choses par leur nom même si ça choque.
S’interdire d’appeler un “partenaire” un pouvoir qui nous finance.
Refuser publiquement des mensonges comme “l’école de la confiance” lorsqu’on est dans une réunion avec des parents et des enseignants.
Critiquer les approches par compétences, même si cela étonne.
Prendre le temps de paraître décalé pour prendre le temps d’expliquer.
S’obliger d’utiliser de nouveau les mots utiles de critique du capitalisme : domination, exploitation, aliénation, etc.
Rendre visible la violence que l’on veut cacher et les hiérarchies que l’on veut déguiser. Un employé n’est pas un collaborateur.
Exiger l’explication des mots utilisés jusqu’à épuisement de celui qui les emploie !
Contester le terme d’évaluation quand ce n’est que du contrôle et refuser la qualité quand ce n’est que de la surveillance bureaucratique et de la productivité etc.
Ne pas craindre d’avoir l’air ringard. Ne pas avoir peur des vrais mots.
Résister n’est pas déshonorant.
Question 5 : Comment vois-tu l’évolution de notre société, avec ou sans l’éducation populaire ? Quelles formes d’éducation populaire te semblent les plus prometteuses, efficaces ?
Nous allons vers une société de contrôle total. Tout ce qui permet de s’organiser pour y échapper est bon à mettre en œuvre : médias alternatifs, etc.
Et surtout recueillir les témoignages vécus par les gens et hisser ces témoignages au rang de savoir légitime. C’est la seule façon de permettre de reconnecter avec la réalité et déconnecter ce que l’on vit d’avec le mensonge ou la représentation de ce que le pouvoir dit de nous. Nos récits vécus doivent dévoiler le discours de la classe dominante.
Un bon récit vaut mieux qu’un long discours !
Propos recueillis par Myriam POMMELEC – Janvier 2021
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